De 1696 à 1738, Monseigneur Charles-Joachim Colbert de Croissy a marqué Montpellier de son éminente et intellectuelle présence. Membre d’une puissante famille, pétri de jansénisme, d’une culture rare, cet Evêque a donné un relief tout particulier à la longue chronologie des Evêques de Montpellier.
C’est à l’occasion d’une visite au Musée Fabre pour l’exposition sur Jean Ranc, quelques jours avant le début du confinement, que l’idée de cet article est née. En effet, dans la salle consacrée aux « Messieurs de Montpellier », j’ai pu retrouver un très intéressant portrait de ce puissant prélat. Ce tableau, dû au pinceau d’un artiste encore à ce jour anonyme est une copie d’une oeuvre due à un autre artiste montpelliérain, Jean Raoux.

Huile sur toile réalisée d’après un tableau de Jean Raoux, vers 1738/1739
Musée Fabre, inventaire D16.1.1, dépôt de l’Hôpital général de Montpellier.
Une origine familiale prestigieuse
Charles Joachim de Colbert appartenait à une famille rémoise enrichie dans le négoce et la finance. Il était né à Paris le 11 juin 1667. Son père Charles Colbert, qui, devenu marquis de Croissy à la suite de son union avec Marguerite Béraud, s’adonna dans un premier temps à la diplomatie. Après avoir été ambassadeur de France à Londres, négociateur de la paix de Nimègues, intendant de Paris, il avait accédé en 1680 aux fonctions de ministre d’Etat. La famille Colbert était alors au faîte de sa puissance, on comptait dans ses rangs, plusieurs ministres, dont le Grand Colbert, oncle de Charles Joachim, plusieurs évêques ou archevêques, mais aussi des magistrats de premier rang.
Les premiers pas dans la religion
Son destin fut celui d’un jeune garçon consacré dès son plus jeune âge à la vie religieuse. En 1688, après le décès d’Innocent XI, alors qu’il occupait déjà les fonctions d’abbé commendataire de l’abbaye de Froidmont, de prieur de Longueville et vicaire général de Pontoise, il accompagne au conclave le cardinal de Furstenberg. Au retour, il est arrêté par les Espagnols et enfermé au château de Milan. Durant cette année d’éloignement de la France, il se consacre à la lecture et y acquiert une culture très large. Libéré, il rentre enfin à Paris où le 10 mars 1691, il obtient le diaconat et en septembre la prêtrise. L’année suivante, le jeune prêtre accède au grade de docteur de la Sorbonne. A l’âge de 26 ans, ce fils d’excellente famille, reçoit le 1er novembre 1696, sa nomination en tant qu’Evêque de Montpellier.
Monseigneur l’Evêque de Montpellier
Ce n’est réellement que le 21 mai 1697 que le nouvel Evêque découvre son diocèse de Montpellier. Très rapidement, il y pose un regard neuf. Il dote la ville de Montpellier d’une nouvelle paroisse dont le siège devait être la future église Saint-Denis qu’il envisageait. Il en confie la réalisation à l’architecte de la province Augustin-Charles d’Aviler.

Huile sur toile réalisée d’après un tableau de Jean Raoux, vers 1738/1739
Musée Fabre, inventaire D16.1.1, dépôt de l’Hôpital général de Montpellier.
Le catéchisme de Montpellier teinté de jansénisme
Il s’adresse également à un religieux, du nom de Père François Aimé Pouget pour qu’un catéchisme à destination de ses paroissiens soit rédigé. Il rencontre un énorme succès, notamment auprès des Jésuites. Grâce à eux, et à leurs missions, ce catéchisme part à la conquête des nouveaux mondes.

Mais ce catéchisme fut de nombreuses fois condamné, notamment en 1712 et 1723 à cause des positions jansénistes qu’il contient. En effet, monseigneur est un janséniste convaincu, qui partage les théories contestataires de l’évêque de Senez, Soanen. Il fut même l’un des quatre évêques appelants de la bulle Unigenitus en 1717. Ses nombreux écrits, dus à une plume facile, témoignent de ses positions. Dans ses lettres épiscopales, il prend la défense de son ami, et refuse sa condamnation par le concile d’Embrun en 1727, et soutient, avec ardeur ses amis jansénistes.
Le catéchisme est la première pierre d’une œuvre édifiante qui va le conduire à être lui-même sous le coup d’un arrêt du conseil du roi, du 24 septembre 1724 qui ordonne la saisie de ses biens, ainsi que les bénéfices de son diocèse. L’année suivante, il échappe de peu grâce à la puissance de sa famille à une révocation définitive de la part du clergé français. Ces diverses attaques ne lui font jamais baisser la garde et au contraire lui donnent encore plus de virulence. En 1735, il rédige une missive au Pape dans laquelle on retrouve son engagement. Il décède trois ans plus tard à Montpellier, le 8 avril 1738, abandonnant son patrimoine à des œuvres charitables.
Egalement rempli de zèle et de lumière
De douceur et de charité
Cet illustre prélat qu’on aime et qu’on révère
De son sang, de ses moeurs, soutient la probité
Homme d’érudition, sa bibliothèque, une des plus importantes du Languedoc et de France ne lui survécut pas. Selon ses souhaits, les commissaires la dispersèrent en 1741 au bénéfice des pauvres paroissiens de son diocèse.

Armes de Monseigneur Colbert, présentées dans le cartouche du tableau
Huile sur toile réalisée d’après un tableau de Jean Raoux, vers 1738/1739
Musée Fabre, inventaire D16.1.1, dépôt de l’Hôpital général de Montpellier.
De façon ironique, certainement un habile clin d’œil voulu par Pierre Stépanoff et Michel Hilaire, cet illustre évêque de Montpellier toise Joseph Ier Bonnier de la Mosson, le père de celui qu’il avait violemment tancé, l’accusant de vivre de façon maritale avec la célèbre Petitpas, une danseuse de l’Opéra, durant l’hiver 1735/1736 au château de la Mosson, l’exhortant « à quitter cette fille et à faire cesser le scandale public que cette cohabitation causoit dans le diocèse ». Merci pour cette très belle exposition que nous aurons beaucoup de plaisirs à redécouvrir prochainement.
1 commentaire
Dans le portrait de Colbert , on peut remarquer deux détails très significatifs . Une instruction pastorale imprimée, et une lettre. L’instruction pastorale est celle du 28 janvier 1728 émise pour la défense de l’évêque de Senez et contre la bulle Unigenitus, la lettre est une lettre du 29 juin 1728 au roi, pour la cause des appelants. Le passage que l’on peut lire argumente sur le gallicanisme pour soutenir cette cause. Tout un programme.