
« Je déteste Montpellier », voilà ce que Stendhal aurait pu écrire à l’issue de son passage à Montpellier en 1837… Dans son « Voyage dans le Midi de la France », le Grenoblois n’a pas de mots assez durs pour dire ce qu’il pensait de notre ville.
Du coup, par vengeance, il n’a pas de rue à son nom, il ne méritait pas cet honneur !!!! Non mais !!!!
Il faut dire que la situation de 1837 n’était pas à l’avantage de Montpellier, la ville n’était pas encore sortie de l’Ancien-régime, des rues étroites, une économie en perte de vitesse, principalement textile qui allait péricliter 10 ans plus tard… Son port de Sète qui commençait à prendre son autonomie… Son principe de ville d’autorité qui en avait fait une grande ville au 18ème était battu en brêche… des rues étroites qui n’avaient pas été redressées, des plans d’alignement développés sous l’Ancien-régime qui n’avaient pas été appliqués… des monuments qui étaient encore enserrés dans leur gangue médiévale… bref une ville moyenne, d’une 60.000aine de milliers d’habitants, assez peu active qui ne reflétait pas l’idée qu’un Stendhal habitué aux villes italiennes, avec des monuments à chaque coin de rue, pouvait se faire d’une ville… Son propos pouvait sonner juste pour le Montpellier d’alors.
« Arrivé à Montpellier le dimanche soir comme minuit sonne dans une remise hideuse, à peine éclairée par deux mauvaises lampes, il faut régler avec le conducteur. Régler est un terme délicat pour payer. Or plusieurs voyageurs ne voulaient pas payer. Ce spectacle ignoble est trop fort pour moi, au lieu de goûter ces détails comiques, comme eût fait Gil Blas, je suis allé regarder les étoiles et chercher la grande et la petite Ourse, ce qui conduit à l’étoile polaire.
Ces détails me font horreur et je baisse les yeux comme devant un spectacle atroce. Ensuite, il a fallu déballer la diligence, puis reconnaître les effets. A ce moment, il y a des traits de grossièreté uniques.
Mais, tout compte fait, j’aime mieux supporter ce quart d’heure et avoir tout le long de la route le spectacle de l’humanité. Je le préfère à la conversation de mon domestique. Vers les une heure, on me conduisit dans chambre infâme au Cheval Blanc, une auberge située dans la Grande-Rue. Ce matin, en m’éveillant, je trouvai que la fenêtre unique de ma chambre donnait dans une rue qui peut bien avoir six pieds de large et la maison vis-à-vis a cinq étages. Je suis sorti pour chercher un café passable; je n’ai trouvé que des pharmacies.
En effet Montpellier est le pays des médecins et, par conséquent, des malades riches. Tous les Anglais poitrinaires, mélancoliques, viennent y mourir. Enfin j’ai surmonté une répugnance à adresser la parole à des inconnus et demandé à de beaux messieurs sur le pas de leurs boutiques l’adresse d’un bon café. Chacun m’a indiqué le sien et je suis allé demander une demi-tasse de café dans des cafés vraiment incroyables.
Dans la suite, je me suis aperçu qu’il n’y a point de café passable à Montpellier. Je suis allé à l’hôtel le plus achalandé de la ville. Là comme je n’arrivais pas en poste, une grande femme sèche m’a reçu avec une froideur piquante pour mon amour-propre. Mais qu’importe! me disais-je, en faisant placer mes malles dans une charmante chambre à trois fenêtres au premier, qui donne sur la rue et sur un jardin.
L’indiscrétion d’un domestique m’a fait connaître le nom du café à la mode. J’y ai couru, mais hélas, mes désirs ne connaissant plus de bornes, j’ai demandé de l’eau chaude. J’avais dans ma poche une provision d’excellent thé de Kiancha, lequel n’a jamais vu la mer, cadeau de l’aimable madame de Boil… Toutes ces villes de l’intérieur de la France se ressemblent ; même impolitesse, même barbarie, il a fallu finir par déjeuner avec du café chicorée et du lait de chèvre, je pense. Le beurre n’était pas mauvais, quoique singulier, il ressemblait à de la pommade et était blanc. Ce café donne précisément sur l’Esplanade; il y avait foire et, de plus, grandes manœuvres, à l’occasion du 17 mai.
Soleil superbe et vent assez froid pour être désagréable ; je n’en ai pas moins passé là deux heures à voir manœuvrer, et, je le dis à regret, assez mal. Les officiers sont instruits, mais ces pauvres soldats sont mous, timides, ennemis du mouvement. Les soldats de cavalerie ont la tournure militaire et ont été très bien. J’ai trouvé la population bien vêtue qui assistait à la parade de petite taille, mesquine et enfin pour trancher le mot, bien laide. Sans doute j’étais mal disposé.
Cette esplanade est fort agréablement placée sur une petite éminence, qui se termine par la citadelle que Louis XIV fit élever comme un fort détaché pour contenir la ville un peu sujette à la révolte.
L’exemple des républiques d’Italie avait jeté de mauvaises idées dans le Midi, qui, d’ailleurs, ne fut jamais aussi abruti que le Nord. Cette esplanade donc, située entre la ville et la citadelle, domine la campagne; à ses deux extrémités, on a la vue d’une suite infinie de petites collines sèches, plus ou moins plantées d’oliviers. Elle-même est plantée de petits arbres membrés bas et affectant un peu trop la forme du choux ils n’ont point encore de feuilles, tandis que quelques marronniers placés autour d’un bassin sont couverts de fleurs et charmants. Il faudrait enlever deux ou trois pieds de
terre du centre de cette esplanade pour que le public pût jouir des manœuvres, courses, etc.; mais peut-être le génie qui s’ennuie en province et tyrannise les pauvres villes de l’intérieur, s’y opposerait vivement.
Je suis entré au Musée Fabre qui donne sur l’esplanade et termine la ville de ce côté. J’ai entrevu jadis ce personnage gascon chez Mme la comtesse d’Albany à Florence. L’on disait que sa présence avait fait mourir de chagrin le sombre Alfieri. Alfieri était né pour mourir de chagrin de quelque chose, même quand son ancienne amie ne lui eût préféré personne. A la mort de la princesse, M. Fabre eut une jolie collection de tableaux, qu’il eut l’esprit de donner de son vivant à sa ville natale, Montpellier, et il fut honoré comme un dieu par le patriotisme de localité. Il y a quelques années, qu’allant aux forges catalanes des Pyrénées pour les premiers fers que nous ayons vendus en Alger, je vis M. Fabre au milieu de son Musée « umile in tanta gloria ». C’était une bonne figure pour faire de la modestie. On peut juger. Son buste et son portrait, fort ressemblants, sont dans la principale salle de son musée. On dit, je pense, qu’on a construit ce musée pour les tableaux; en ce cas pourquoi ne pas bâtir une tour ronde avec une lanterne au milieu?
Au lieu de cela, ce sont de jolies salles fort bien éclairées par des fenêtres ouvertes près du plafond; mais souvent les tableaux ont un jour double, souvent le vernis leur fait faire l’effet d’un miroir. Beaucoup sont, placés trop haut, et enfin, au-dessus des tableaux, entre les fenêtres, on a peint de grands sphinx nigauds, de couleur trop brillante.
Les architectes de province, toujours ingénieux, n’ont pu se déterminer à placer là une teinte plate, gris sale. C’est cependant ce qu’il fallait sous peine d’éteindre les couleurs des tableaux.
Je me hâte de courir au fameux portrait d’un beau jeune homme à cheveux blonds par Raphaël. Hélas! il me semble encore plus repeint qu’en 1831.
Ce matin encore, le vent était froid; en partant j’ai eu la témérité de vouloir déjeuner avec du thé. J’en ai pris dans le paquet que m’a donné M. C. et me suis acheminé vers le meilleur café de Montpellier, dont enfin je suis parvenu à me faire dire le nom, non sans cependant avoir été trompé plusieurs fois.
Là je me suis livré à des travaux d’Hercule pour avoir de l’eau chaude, mais je n’ai pu réussir; j’ai pris du thé à l’eau tiède par ce froid. Illumination de l’esplanade, mais le vent froid d’est me fait fonction de mistral et gâte tout pour moi.
Montpellier est une des laides villes que je connaisse, mais d’une laideur à elle, qui consiste à n’avoir pas de physionomie ; on monte et on descend sans cesse; ce sont de petites rues étroites ; jamais 25 toises en ligne droite. Les maisons sont en pierres et en général ont trois étages, mais petites, mesquines, sans aucune physionomie. Pas d’églises ; une cathédrale ridicule; mais une des plus belles promenades du monde et où, tôt ou tard, on mettra des arbres, car ceux qui sont au Peyrou sont en si petit nombre qu’ils ne font pas masse d’ombre. »