
C’est en 1882, un 28 juin, que Louise Michel, la célèbre citoyenne de France, la militante libertaire et syndicaliste, ose affronter Montpellier. Montpellier est alors une ville bien bourgeoise, riche de ses certitudes financières. Les millionnaires s’y comptent en très grand nombre. Il est évident que la venue de ce bout de femme dans ce havre de prospérité ne peut que susciter la colère de la riche société locale.
Le journal catholique et légitimiste, l’Eclair, s’indigne de cette conférence. Ses chroniqueurs s’érigent en défenseur des bonnes mœurs face à cette possédée révolutionnaire. Les conférences que Louise Michel dans la France entière n’ont d’autres buts que de lever de l’argent. Son but est d’aider les ouvriers des raffineries de Paris qui sont en grève. Ainsi chaque place est payante : 50 centimes pour les premières, 25 centimes pour les secondes.
« On dit à (la femme) qu’elle est la beauté ;
à l’autre qu’il est le peuple roi,
puis on les enchaîne et on les traite tous deux en esclaves »
Louise Michel, 1882, Montpellier
Louise Michel harangue le public montpelliérain
Ce 28 juin, dans la salle de la Brasserie du 19ème siècle, boulevard de la Comédie, se presse une foule nombreuse. Le moindre fauteuil, la moindre chaise est réquisitionnée. Tous souhaitent découvrir ce bout de femme qui fait trembler l’Etat français. A ses côtés figurent d’éminentes personnalités, dont le célèbre Stanislas Digeon. Ce dernier est bien connu dans notre région pour y avoir fait ses premiers pas dans la politique.
Avant même l’arrivée de Louise Michel, plusieurs opposants se font entendre. Ils veulent impressionner celle qui représente le sexe faible. C’est voué à l’échec : la passionaria ne se laisse pas facilement impressionner. Elle prend rapidement le dessus sur ces barbus et moustachus qui remplissent la salle. Elle critique avec sa véhémence coutumière le gouvernement et s’attaque au héros de la République, Gambetta, à propos de la guerre de Tunisie et des affaires d’Egypte. La syndicaliste n’épargne pas non plus l’Empire et Napoléon, le troisième. Tous à ses yeux sont les partisans de la guerre financière qui asservissent le peuple…
Elle lance alors au public qu’ «avec le gouvernement actuel, nous n’aurons jamais la liberté, encore moins l’égalité ; on n’aura tout cela que lorsqu’on le prendra de force». Elle appelle à agir comme les «nihilistes» russes qui s’en prennent au pouvoir des Tsars.
Son discours prend un nouvel accent lorsqu’elle crie qu’on traite le peuple comme la femme. La féministe qu’elle est déclare qu’«on dit à celle-ci qu’elle est la beauté ; à l’autre qu’il est le peuple roi, puis on les enchaîne et on les traite tous deux en esclaves».
Louise Michel face au boucan des millionnaires montpelliérains
Sur ces mots, le tumulte devient fracassant. Un étudiant de Montpellier monte sur la tribune. Il « déclare qu’il préfère être gouverné par les 600 tyranneaux dont on a parlé que par des gens qui ne savent pas parler français ».
«C’est une insulte au peuple» s’indigne Louise Michel
«C’est la tyrannie des plus instruits» proteste Stanislas Digeon.
Le boucan, que les journalistes de l’Eclair ont attisé devient assourdissant.
On accuse alors Louise Michel d’avoir empêché le public de rentrer et de laisser beaucoup de monde hors de la salle. Mais elle se défend contre ces attaques. Une commission ad hoc vérifiera sa comptabilité. Tous les moyens semblent bons pour faire chuter la passionaria du syndicalisme. Elle faiblit pas, et répond à chacune des critiques émanant du camp des millionnaires.
Les contradicteurs se succèdent à la tribune. Ils sont accueillis aux cris de « A la porte ! » Les sifflets fusent.
L’ambiance devient insurrectionnelle, jusqu’à ce qu’une autre citoyenne, mais celle-ci de Montpellier, Mme Mink se lève et déclare à son tour : « On s’est effrayé, dit-elle, des mots de révolutions ! Mais la bourgeoisie n’a-t-elle pas profité de la Révolution de 93 ? C’est au tour du peuple aujourd’hui, tant-pis pour ceux qui n’auront pas accueilli ses plaintes ».
Louise Michel termine cette conférence en criant face au peuple de Montpellier, installé dans ses certitudes de prospérité : «Vive la Révolution sociale universelle».
La seconde conférence de Louise Michel dans le local des chambres syndicales
Le lendemain elle tient une autre conférence dans le local des chambres syndicales du 9, bd de la Blanquerie (futur boulevard Louis Blanc) sous les auspices du parti ouvrier syndicaliste et des chambres syndicales.
Bis repetita, les lieux changent, mais les attaques restent les mêmes. On entend également « A bas le Cercle Catholique ! » en réponse à un des interlocuteurs qui répond qu’il préfère «l’intervention du plomb que celle du bon Dieu dans les affaires du Peuple».
Ainsi se termine le périple de Louise Michel à Montpellier… Montpellier, la bourgeoise, la ville des millionnaires s’empressa d’oublier ce passage et retrouva la quiétude des salons feutrés et le doux confort des fauteuils du théâtre…
Ainsi va la vie des peuples et de ses Révolutions !