Parmi les nombreuses découvertes scientifiques qui peuvent être attribuées à des Montpelliérains, figure celle – parmi les plus étonnantes – du parachute. Cette avancée technique qui emprunte à de nombreuses expérimentations étrangères, notamment asiatiques et arabes, est due à un jeune physicien montpelliérain, Sébastien Lenormand (1757-1837) dont le souvenir a été transmis génération après génération, et s’est même transformé en légende. C’est cette histoire que nous allons vous conter.
Le parachute, une invention montpelliéraine

(Montpellier 1757 – Castres 1837)
En 1783, un 26 décembre, Sébastien Lenormand, un physicien âgé de 26 ans, se présente devant un ormeau d’âge respectable dans l’enclos des Cordeliers. Ce jeune scientifique né à Montpellier le 25 mai 1757 au sein d’une famille d’horlogers et de pharmaciens renommés, est depuis quelques temps convaincu qu’il peut mettre en application les leçons qu’il a apprises de Monsieur de Loubère, un envoyé extraordinaire de Louis XIV au royaume de Siam. Il se rappelle avoir lu dans les pages de ses relations, la narration des exploits des équilibristes de la cour royale qui se jetaient dans le vide protégés par de simples parasols. C’est du moins ce qu’il précise dans un texte de 1784, adressé à l’Académie des Sciences de Lyon :
Dans un volume de l’Histoire des Voyages, j’avois lu que des esclaves, pour amuser leur roi, munis d’un parasol, se laissoient aller d’une hauteur assez grande pour se faire beaucoup de mal; mais qu’ils étoient retenus par la colonne d’air qui étoit comprimée par ce parasol.
Il est convaincu de pouvoir reconduire cet exploit, de surpasser les lois de l’attraction terrestre, en recréant cette colonne d’air salvatrice. Ce grand ormeau ébranché centenaire lui servira de plateforme de départ. Seul, à l’abri des regards indiscrets, il ouvre ses parasols de trente pouces, en saisit un dans chacune des ses mains et se jette dans le vide… et retombe sur la terre ferme sain et sauf. Il vient d’effectuer le premier atterrissage sans difficulté de l’histoire française et d’inventer ce qu’il appellera le parachute. Il déclara par la suite : Le chute me paroissoit presque insensible lorsque je la faisois en fermant les yeux.
Fort de son succès, et encouragé par ses amis admiratifs devant son impétuosité, notamment par l’indiscret abbé Bertholon, professeur de physique et par le comte de Périgord, commandant de la Province de Languedoc, Sébastien Lenormand rédige un rapport de ses exploits et envoie son mémoire scientifique à l’Académie de Lyon. Ce succès, il va vouloir le répéter de plus haut, et il choisit la Tour de la Babote qui présente une élévation assez importante pour mettre en application ses découvertes.
Le rendez-vous est fixé le 26 décembre 1783, pendant la tenue des Etats de la province. Une foule énorme veut assister à cet exploit et au milieu de cette foule, se trouve le célèbre Montgolfier qui était alors de passage à Montpellier. Il fait placer au pied de la tour médiévale des grandes quantités de sable, et attache à son parachute un chat, puis un chien, des poids confiés par le miroitier Decorio, qui tous arrivent à terre sains et saufs. Le public est admiratif, le savant est salué, son succès est éclatant. Son parachute peut sauver des vies, notamment lors des incendies qui étaient particulièrement meurtriers sous l’Ancien-Régime.

Mais Lenormand est appelé par d’autres voies. Du moins d’autres voies se présentent à lui, notamment, celles de la religion. La protection de la soeur d’un Evêque lui permettent d’entrer à la Chartreuse de Castres et d’accéder aux fonctions de vicaire de l’Evêque constitutionnel de Toulouse pendant les premières années de la Révolution. Il aurait pu avoir une carrière religieuse, s’il n’avait choisi d’abandonner la prêtrise en décembre 1793 et de se marier quelques mois plus tard en mai 1794 avec la fille d’un professeur de la célèbre Ecole de Sorèze. Ce mariage lui permet de renouer avec la science et l’enseignement. En 1799, il prend ses fonctions en tant que professeur de physique et de chimie à l’Ecole centrale d’Albi et enfin au Conservatoire des Arts et Métiers.
C’est à cette même période, en 1800, qu’il va devoir renouer avec sa gloire passée. Des scientifiques tentent de lui ravir la paternité du parachute et de l’attribuer au célèbre Lavoisier, mort six ans plus tôt. Pour justifier de sa paternité, il rédige un rapport dans lequel il inclut la description de son invention et en décrit le principe de construction :
» Je fais un cercle de 14 pieds de diamètre avec une grande corde, j’attache tout autour un cône de toile dont la hauteur est de six pieds. Je double le cône de papier en le collant sur la toile pour le rendre imperméable à l’air. Ou mieux, au lieu de la toile, j’utilise du taffetas recouvert de gomme élastique. Je mets tout autour du cône des petites cordes qui sont attachées par le bas à une petite charpente d’osier et forment avec cette charpente un cône tronqué et renversé. C’est sur cette charpente que je me place. Par ce moyen, j’évite les baleines et le manche qui feraient un poids considérable. Je suis si sûr de risquer si peu, que j’offre d’en faire moi-même l’expérience, après avoir cependant éprouvé le parachute sur divers poids pour être assuré de sa solidité. »

« Les merveilles de la Science » – Figuier
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais c’est à ce moment que naît la légende de Lenormand et du premier « saut habité en parachute » depuis les hauteurs de la Tour de la Babote. C’était sans compter en effet sur la capacité des montpelliérains, même des plus sérieux, à rajouter un peu de légendes à la vérité… La tradition retient en effet que Sébastien Lenormand osa lui-même braver les dénivelés entre la tour de la Babote et le sol, qu’il osa se jeter dans le vide. Une estampe en atteste et fait partie de l’imagerie montpelliéraine, telle une image d’Epinal. Mais cette illustration interroge. L’image est bien belle, il est vrai. Elle ne semble toutefois pas correspondre à la réalité. Elle montre une troupe de badauds aux pieds de la tour de la Babote, des fenêtres assaillies par des grappes de spectateurs mais surtout une tour de la Babote dont la configuration est celle de 1785, après la surélévation de deux étages. L’image n’est donc pas vrai. Mme Bouscaren, l’auteur de ce dessin, née en 1827 ne pouvait relater de façon précise cet événement scientifique. Elle la fit naître de son imagination, du moins de ce qu’elle voyait, et son époux, Louis Figuier, grand vulgarisateur scientifique, qui popularisa cette légende dans son ouvrage « Les Merveilles de la Science » en 1868 ne put résister à relater cet homérique exploit d’un montpelliérain. Mais la légende est tenace, elle perdura bien longtemps.

En 1945, une plaque commémorative fut fixée sur la tour de la Babote à Montpellier avec cette inscription : « A la mémoire du physicien Sébastien Lenormand qui, en 1783, du balcon de cette tour osa le premier saut en parachute. » C’était trop beau pour être vrai ! En réalité, Lenormand avait seulement décrit dans les Annales de chimie, en 1801, les expériences de parachutage qui furent réalisées à cette époque et à cette tour, mais seulement avec des poids et des animaux. C’est l’étourderie et peut-être le chauvinisme d’un Montpelliérain qui avait fait le reste et avait permis la création d’une légende urbaine, aujourd’hui encore fameuse.
Plusieurs fois, on voulut la mettre à l’épreuve des faits. Louis Henri Escuret dans « le parachute imaginaire de Sébastien Lenormand » s’amuse de cette histoire en écrivant : « la reconstitution humoristique de la descente en parachute, à l’aide d’un mannequin, eut un grand succès quand le parapluie, soutenu par un mannequin, faisant alors fonction de parachute, atterrit le premier. » Cet échec ne découragea pas les membres du para-club de Montpellier qui ne pouvaient en rester là.

Le 26 décembre 1983, soit deux cents ans après les premières expérimentations du parachute à la Tour de la Babote, ils lancèrent un mannequin lesté, couvert d’un feutre noir, en redingote et gilet, attaché à un parachute tel qu’aurait pu produire Lenormand. L’essai fut concluant et témoigne simplement que le scientifique aurait pu être le premier parachutiste français si il avait été un peu plus téméraire. Il n’en reste pas moins qu’il en inventa le principe et ouvrit la voie qui permit quelques années plus tard, à Jean-Pierre Blanchard, d’être le premier homme à effectuer un saut en parachute.
Bibliographie
Du Royaume de Siam par Monsieur de La Loubère, envoyé extraordinaire du Roy auprès du Roy de Siam en 1687 et 1688, chez Jean-Baptiste Coignard, Paris, 1691, tome 1, 555 pages
Du Royaume de Siam par Monsieur de La Loubère, envoyé extraordinaire du Roy auprès du Roy de Siam en 1687 et 1688, chez Jean-Baptiste Coignard, Paris, 1691, tome 2, 404 pages.
Prieur, « Réclamation relative à l’invention des parachûtes » in Annales de Chimie ou recueil de mémoires concernant la chimie les arts qui en dépendent et spécialement la pharmacie, livraison du 30 messidor an 8, tome 35, p. 100 à 107.
La Babote, ville de Montpellier, 1985, p. 25 à 29.
1 commentaire
J’apprécie particulièrement cet article en ce qu’i rétablit la réalité historique de manière détaillée et documentée, tout en retraçant l’origine d’une légende. Merci. 🙂