Avec cette petite publication, et grâce à la plume enjouée et facétieuse de François Dezeuze (1871-1949), le fameux auteur montpelliérain connu sous le nom de l’Escoutaïre, et à son truculent ouvrage « saveurs et gaités du terroir montpelliérain » publié en 1935, nous allons faire plonger dans l’ambiance quotidienne de nos prédécesseurs de Boutonnet avec leurs célèbres galéjades, les moqueries qui étaient de vraies institutions par chez nous et notamment dans ce quartier populaire de Montpellier.

Pour ceux qui auraient des difficultés pour lire cette publication sur leurs téléphones portables, j’en copie en dessous.
Bonne lecture à tous.
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Les célèbres galéjades de Boutonnet.
Une fois la besogne quotidienne achevée les hommes s’assemblaient aux quatre coins (de Boutonnet), au carrefour de la rue des Sourds-Muets et de la rue de la Garenne. Ils se racontaient les nouvelles du jour, discutaient longuement température, car ils vivaient à la vigne, au jardin ou à la carrière ; et puis c’étaient les farces, les moqueries dont chacun était exposé à faire les frais.
Un jour, c’est Granoulha qui revient de sa terre du Grès. Il a fait une chaleur tropicale. Il a mis son « flascou » dans le puits pour boire frais. Et il a bu, et il a bu ! … Il a encore soif. Et voilà qu’il remonte la bouteille vide !… Bien, ébé, presemple ! il la tourne, il la retourne, plus une goutte de vin. – Quel est ce mystère ? Il lui vient l’idée de regarder dans le puits. Il penche la tête, et qu’est-ce qu’il voit à la surface de l’eau qui reflète le ciel clair ? un drôle d’individu qui regarde lui aussi, mais avec l’air de se cacher.
Granoulha a vite saisi. Il est allé à l’école des Frères, il sait qu’il y a des antipodes, dans un pays très éloigné, en Chine, C’est sous nos pieds. Si on faisait un trou assez profond, on y arriverait.
Quelqu’un a dû faire ce trou. La preuve c’est qu’on voit l’autre côté du ciel. C’est probablement les Chinois. Et c’est un de ces Chinois, un voleur qui a sifflé le vin. Espère un peu, mon vieux, tu vas voir !
Granoulha lui jette une grosse pierre sur la tête. Le Chinois se sauve. Lui va travailler. Il revient peu après. Il regarde avec précaution. O rage ! le Chinois là-bas, là-bas, guette également. Granoulha lui jette une autre pierre, et ça recommence, et Granoulha continue. Il ne s’arrête que lorsqu’il a comblé son pauvre puits.
Quand il revient à Boutonner, il apprend aux autres qu’il a tué le Chinois. Je vous laisse deviner la joie et les exclamations qu’il provoque : « Quanta quilha ! (quelle quille !), Vai secà ta mouta ! (Va sécher ta motte !)
Et on rigole pendant trois mois.
Une autre fois, c’est un nigaud du quartier qui rapporte un baril neuf de la ville. On examine, on tourne, on retourne, on scrute cercles et douelles. Tout à coup un farceur dit :
– Mais on ne pourra jamais s’en servir de ce baril, il y a des trous.
– Mais, dit le nigaud, il en faut bien pour y verser le vin.
– Un passe encore ! mais deux… tout le vin partira.
Tous les hommes reconnaissent l’exactitude du propos. Convaincu, le pauvre garçon va rendre au tonnelier ce baril trop troué.
Et les autres s’esbaudissent.